Au cours de ce dernier quart de siècle, les formes d'urbanisation mettant en valeur le terrain vague, typique des conditions horizontales, ont été un reflet des structures décentralisées de l'industrie de l'information. Ma région natale, Fort Worth près de Dallas, est connue sous le nom de Metroplex, terme inventé pour décrire un environnement métropolitain complexe. Cette région est exemplaire de la manière dont les paysages technologiques d'aujourd'hui ont fini par incarner ce concept de notre fin de siècle que J.G. Ballard a appelé la "possibilité illimitée" : désir x ingéniosité = Amérique. Voilà le paysage culturel et physique qui constitue le socle de ma propre identité en mouvement. Il est à la fois global dans ses implications et spécifique dans son milieu même.
De 1983 à 1992, mon travail cherchait sa pertinence à travers un positionnement autobiographique des idées. Depuis 1992, mon intérêt s'est détourné d'une référence à la machine, étroitement focalisée, pour se porter vers les étendues et les ouvertures offertes par les situations culturelles non encore codées par une symbolique architecturale. Je me suis rendu compte qu'une série continue de coupes transversales devait être opérée dans les structures culturelles globales, lesquelles en sont venues à dominer nos vies contemporaines ; les progrès, l'ambivalence, les possibilités et les changements enregistrés dans ces coupes était censés nourrir ma pratique. En fait, s'il y a une certitude dans ce travail, celle-ci se fonde sur le mouvement ; son plan de cohérence ne renvoie pas secrètement à un cadre restrictif. Au cinéma, même quand la caméra de Yasujiro Ozu reste immobile (technique que nous pourrions nommer le "cadre restreint"), les images se multiplient, un affect est généré. Ce qui importe, c'est que les anomalies du mouvement deviennent le point essentiel, au lieu de prendre un caractère accidentel ou contingent.
Depuis le début des années 1990, je commence à comprendre comment la popularité du discours et des applications techno-scientifiques a été le support d'une série de questionnements, allant des crises de perte d'identité (dues à l'homogénéisation) jusqu'à la production de nouveaux groupes culturels émergents, dans les champs du numérique. Il m'est donc impossible de concevoir un discours pertinent en architecture qui n'affirme sa présence sur tous les sentiers de la culture. La culture se manifeste selon deux formes : l'une est une apparition, tels le sable mouvant, le mirage ou le blob, nous présentant une image qui instantanément évolue, disparaît ou change d'aspect ; comme un ivrogne qui marcherait pendant un tremblement de terre, il nous arrive de ne pas remarquer l'ondulation du mouvement. Quant à la seconde forme, c'est une bête féroce qui nous dévore à chaque détour. Ces manifestations jumelles de la culture ont fini par refléter la logique de mon travail, qui est bâtie sur l'idée que le champ ambivalent des prodédures et des répétitions spatiales, et le désir traditionnel de produire de la différence (l'auteur expressif) coexistent comme condition culturelle productive. Cette logique reconnaît les forces (fatales, hégémoniques, ou autres) qui se coordonnent, à la fois pour limiter et ouvrir les voies possibles par lesquelles l'architecture peut simultanément extrapoler et produire la culture.

Commandé à l'origine en 1990 par une nouvelle section de "Steelcase", ce projet est le produit de cinq plans élaborés sur une période de trois ans. La compagnie, nommée "Details", a demandé à Neil Denari un "mur" pour séparer une pièce de 185 m2 en deux espaces distincts, chacun assumant une fonction différente mais reliée. L'un des deux espaces a été défini comme "clérical", l'autre doit servir d'atelier de design. Le mur, au-delà de ses propriétés propre de division, doit servir à entreposer des livres et des prototypes et, à une de ses extrémités, doit accueillir une table de travail dans un pli de sa peau en fibre de verre. Le projet fonctionne comme un codage d'information ou une traînée de vapeur qui traverserait l'espace et qui se réifierait à l'intérieur de la pièce même. Celle-ci, considérée comme insignifiante, a uniquement pour rôle d'interrompre ce "nuage d'informations" qui glisserait par ailleurs sur toute la grille euclidienne de Manhattan. Le mur, ainsi, n'est pas déterminé par le site. Les accès qu'il ménage sont simplement des découpes fonctionnelles dans sa peau blanche.

La "Gallery MA" est un lieu réputé de Tokyo consacré à l'exposition de l'architecture et du design. Au troisième niveau, un jardin quasi-zen à ciel ouvert et délimité par des murs en béton, divise en deux les étages supérieurs, créant un bâtiment en forme de L. Une membrane en verre sépare du jardin l'espace intérieur, permettant une invasion visuelle totale. L'espace est d'environ 6,5 x 11 mètres en plan et de 2,45 mètres en coupe. Neil Denari devait concevoir pour ce lieu un espace expérimental. Le schéma conceptuel de son projet se réfère directement au système de cartographie "Homolosine Interrupted Projection" : depuis l'origine, dresser la carte du monde revient à le rabattre sur une feuille, une surface où seraient simplement enregistrés des territoires. La projection Homolosine représente le monde en une série d'ellipses découpées ; la surface verte à l'intérieur de la "Gallery MA" est une "projection interrompue", en ce qu'elle est le déploiement d'une surface globale aplatie et vidée, en vue de former un espace. La surface se plie et se tord, proposant une géométrie tri-dimensionnelle à la fois lisse et complexe, capable de fusionner avec ce monde graphiquement "logoïsé" de codes visuels et de signes conventionnels. C'est la feuille du monde (worldsheet).

Dans une époque d'essor des systèmes de communications numériques, ce projet réaffirme la puissance de l'espace architectural. Le site, visible depuis des points très distants, justifiait que le bâtiment présente un réel potentiel expressif. En conséquence, les tentations de le faire "disparaître" (sous terre) ou de l'urbaniser (sous la forme d'un mur sur la rue) n'ont pas été explorées par Denari. Son unique choix fut que la bibliothèque, en réaction à une privatisation implicite, soit elle-même un diagramme de certaines formes de savoir contemporain. Le projet se décompose en trois parties qui fonctionnent comme des éléments à la fois discrets et intégrés. Tout le programme de la réserve se situe à l'intérieur d'un cube en béton à la limite sud du site. Comme le site remonte du nord au sud, le volume de la réserve s'enfonce largement dans le sol. Le bâtiment se compose alors de deux immenses "feuilles du monde" (worldsheets) qui interagissent pour former des surfaces continues, entrecroisant, elles-mêmes, la matrice des plateaux des étages et les piliers de la structure.

Cette maison est située sur une parcelle typique de L.A.: 50 pieds par 50 pieds. La volonté du client était d'explorer les conditions fondamentales de la North American Suburban Subdivision, à travers un site plat typique et le programme typique d'une maison à trois chambres et deux salles de bains. Cela étant posé, la maison elle-même, tout en satisfaisant à ces critères ordinaires, se devait d'être extraordinaire. Comme beaucoup de petits immeubles de logements à Los Angeles, cette maison comporte un niveau sous le sol et deux au-dessus, masquant ainsi sa taille réelle. La dimension expérimentale et conceptuelle du projet concerne sa coupe. Les élévations de l'avant et de l'arrière laissent voir la peau du toit et la forme extrudée du volume général. A l'intérieur, les espaces de circulation tournent autour de l'escalier, qui connecte lui-même sept demi-niveaux différents. Cette maison présente une figure ambivalente ; investie dans la préservation de la typologie du site, elle engage de l'intérieur une critique extrême des similitudes architecturales.