Paul Virilio disait à ses étudiants qu'après le temps de la résolution fonctionnaliste en termes de solutions rationalistes abstraites, durant la première partie de ce siècle, et après le temps des réponses aux besoins sociaux en termes de solutions sociales quantitatives, au cours de l'émergence d'une nouvelle société dans la seconde partie de ce siècle, l'architecture devait aujourd'hui répondre à la question du désir en procurant du plaisir (...) Privilégier toutefois une réponse à la question du désir est complexe. Chaque réponse doit être spécifique et engagée. Rien n'est définitif, toute solution est transitoire.

Ces notions remettent en question la place du corps et des sens dans l'espace et l'architecture. Le déplacement du corps à l'intérieur de l'espace, l'instabilité générée par le mouvement, l'instabilité qui crée le mouvement, changent notre façon de percevoir l'espace par tous nos sens. Après la sédentarité du corps au cours de toutes les périodes classiques où l'espace était perçu depuis un point statique, nous sommes désormais dans la période dynamique où le corps est instable, où le temps et l'espace sont perçus comme des instants, comme des événements, davantage que comme relevant de l'ordre du permanent. Nous entrons dans la période nomade où la discontinuité spatiale et la fracture temporelle constituent un état moderne. Nous ne pensons jamais à un espace centré et à des axes orientés à partir et vers un observateur unique, mais à des espaces glissants et tangentiels, en enchaînant des images afin de créer des lignes fuyantes, des perspectives mouvantes, des images séquentielles où la tension vient de l'assemblage de formes qui s'évanouissent.

(...) L'espace urbain moderne n'est absolument pas dans l'ordre de la Ville : la notion de centralité disparaît et fait place au mouvement, au glissement, au déplacement continu des lieux et des activités. Le territoire ne se définit plus par ses frontières, mais par le réseau et les connexions qui le traversent. Il est désormais toujours polycentrique. Le déplacement à l'intérieur des villes et des territoires les redéfinit comme un réseau en continuelle fluctuation.

Nous devons cesser de penser à l'aide de la notion archaïque de centralité, qui se réfère à un homme abstrait, pour penser le monde comme un désordre topologique apparent qui a déterminé de nouvelles formes urbaines disséminées à travers les territoires grâce à des relations de continuité dans la discontinuité, à des déformations, bifurcations, à la densité et l'hétérogénéité dynamique, plutôt que par un système métrique, et nous devons remettre en question la spatialité statique et la constance de la forme urbaine dans le temps.

Depuis le début, nous intégrons la nécessité du déplacement et du mouvement du corps dans l'espace. La succession des points de vue, considérée comme une instabilité de la vue, génère une vision dynamique de l'espace. La variation des perspectives crée une tension permanente et une ambiguïté sensuelle dans la complexité et la perception de l'espace. L'articulation séquentielle d'images, telle la distorsion linéaire, déplace et perturbe constamment le point de vue. Matériau, lumière, texture, couleurs, de même que formes, ombres, tension, densité, promenade, transgression, hypertrophie, tous sont nos outils combinés pour créer des espaces où les sens sont en éveil. L'architecture et l'espace sont une découverte permanente et ne connaissent jamais de limites.

Odile Decq

Situé à proximité immédiate de la Bibliothèque de Droit, l'UFR compose avec celle-ci et la Maison des Sciences de l'Homme, le même ensemble unitaire et fragmenté. L'UFR, qui reprend notamment la même trame structurelle longitudinale que la bibliothèque (7,6 m), est constitué de deux bâtiments en vis-à-vis, réunis par trois niveaux de passerelles. On y accède par une cour minérale ouverte sur la faculté de Droit. Inséré dans la déclivité du terrain, l'amphithéâtre apparaît de plain-pied vers l'Erdre, et en contrebas entre les deux ailes de l'UFR. L'accès principal, celui des étudiants, est situé sur la façade nord, en vis-à-vis de l'entrée de la bibliothèque. Chacune des deux ailes de l'UFR est consacrée à une fonction précise : enseignement pour l'aile sud, la plus large ; recherche et administration pour la plus fine, l'aile Nord. Sur quatre niveaux, les halls offrent des vues cadrées sur la forêt et l'Erdre.

Dans le projet de réaménagement du "Pub Renault", la façade entière est conçue comme une installation de James Turrell, qui irradie la lumière sur toute sa surface.C'est une épaisseur à traverser pour entrer dans le lieu. L'espace se transforme au gré des besoins et des envies de ses utilisateurs à partir d'un nombre limité d'éléments prédéfinis qui sont des composants spatiaux :
- la membrane active : surface fluide dont la structure d'arcs articulés permet des configurations d'espaces aux formes multiples, qui supportent différents types de peau tendues (translucides, opaques, blanches ou de couleurs…)
- les plaques sensibles : jeux d'écrans plats qui créent des espaces variés et tendus modulables à volonté.
- le cœur de communication : plate-forme permanente pour les événements TV et radio, c'est aussi la scène modulaire au cœur des manifestations événementielles. Chacun des éléments, lui-même constitué de plusieurs éléments, est transformable et mobile.

Ce projet vise à dynamiser de nouveaux développements urbains le long du fleuve. Une nouvelle île a ainsi été créée, servant de point d'appui à la pile centrale du pont sur laquelle doit être construit un programme de cinq tours de bureaux. L'île est aussi le lieu privilégié de l'implantation d'un équipement à vocation culturelle en relation avec les sports nautiques. Le pont lui-même est double, articulé sur une séparation des flux piétons et vélos, liés à la promenade, et des flux autos et tramways, liés au déplacement urbain. Le pont et la passerelle passent à 12,5 m au-dessus du fleuve sur une longueur de 200 m. L'un et l'autre, articulés pour se lever ensemble, sont mobiles sur une longueur de 50 m entre les piles qui forment le pylône principal de support du pont-passerelle. C'est ici le paysage qui se transforme et devient pont ou passerelle, plutôt qu'un pont et une passerelle posés sur un paysage.

La Bibliothèque de Droit s'inscrit dans un sytème de bandes parallèles où elle côtoie la bande en attente pour son extension future, mais aussi le bâtiment de l'UFR de Sciences économiques et la Maison des Sciences de l'Homme conçus aussi l'un et l'autre par Decq & Cornette. Ce projet s'intègre ainsi dans un système en "code barre" qui forme un ensemble unitaire mais fragmenté offrant une variation sur la trame du campus à dessein de "finir" cette trame tout en résolvant l'articulation des différentes entités universitaires et en filtrant l'accès aux bois classés. Vers ces bois, au Sud, et répétée sur trois niveaux, s'ouvre une grande salle de lecture dont la façade, totalement vitrée, est doublée d'un brise-soleil qui dégage une galerie d'entrée ombragée à l'échelle de la bibliothèque, celle-ci est flanquée en façade nord d'une bande servante qui regroupe toutes les circulations verticales, les bureaux et le département technique.