Les
trente dernières années ont vu la dévalorisation
systématique de la force traditionnellement accordée à
la discipline architecturale. L'échec flagrant du modernisme
a ouvert la voie à une multitude de tendances, chacune déniant
à la conception architecturale une quelconque efficience.(...)
Nous refusons pour notre part ces arguments annonciateurs de la fin
du modernisme, et nous préférons travailler sur une notion
nouvelle et prolongée de ce qu'il pourrait devenir. Nous percevons
la défaillance qui s'est produite au cours des dernières
décennies comme la conséquence du manque de paradigmes
adéquats dans la conduite du projet. Alors même que les
sciences ont opéré un profond changement par le biais
de modèles complexes d'abord développés dans
la mathématique des systèmes dynamiques, nous profitons,
nous aussi en architecture, de leurs applications révolutionnaires.
Une
évolution parallèle, déjà en cours dans
l'industrie du bâtiment, déplacerait les frontières
strictes dans la construction entre les échelles définies
(intérieur, immeuble, urbain, région) pour permettre une
traversée plus latérale de l'une à l'autre. Nous
entendons les hiérarchies scalaires et organisationnelles de
l'architecture, non comme données et séparées,
mais comme rigoureusement connectées et co-dépendantes
selon des protocoles complexes et différenciés. Cette
interconnectivité a des effets d'une portée considérable,
et fait partie intégrante de la compréhension d'un nouvel
urbanisme.
L'architecture doit réinvestir l'échelle urbaine, sans
se contenter de répéter des modèles existants ;
elle doit concevoir un projet étendu pour imaginer un espace
public cohérent. Nous aspirons à travailler avec la ville
pour élaborer et mettre en œuvre des propositions de construction
réalistes et durables. Nous avons l'intuition qu'une
conception forte et précise peut, et devrait, mobiliser le nécessaire
corps des planificateurs en vue de réaliser un nouvel espace
urbain. Historiquement, les plus grands exemples d'urbanisme à
cette échelle ont toujours donné la priorité à
la conception formelle. Il est arrivé trop souvent que celle-ci
se contente de suivre des plans produits par des comités, avec
pour conséquence funeste un résultat morcelé, non-intégré,
donc moins efficace.
Cependant,
la conception formelle n'est pas une discipline isolée. Même
si, en tant que concepteurs, nous opérons surtout dans le domaine
du qualitatif, nous dépendons fortement des données quantitatives
fournies par le corps établi des planificateurs, afin de garantir
à notre travail une viabilité dans le milieu complexe
de l'espace public.(...)
Notre
travail se donne l'impératif d'une intégration fondamentalement
différente. Nous sommes convaincus que la planification de programmes
génériques préétablis contamine dès
le départ l'idée même de leur mise en œuvre
car, plutôt que de réagir à ce qui distingue un
lieu d'un autre, ce mode de fonctionnement abolit complètement
la différence. Pour nous, tout espace est unique et singulier,
et doit résister aux influences homogénéisatrices
des mécanismes réducteurs de la standardisation aveugle
et simpliste. Il ne s'agit pas de rejeter systématiquement la
standardisation, mais plutôt d'appeler à son adaptation
au sein d'un continuum plus vaste.
Jesse Reiser, Nanako Umemoto
