Décosterd & Rahm, associés

Campement électromagnétique, 1999
decosterd et rahm

A la manière de G.W.F. Hegel, nous situons l'architecture au plus bas niveau du monde, dans la matière et la pesanteur, sous les variations du climat et le passage du temps, engagée dans des relations physiques, chimiques, biologiques, électromagnétiques avec l'environnement et notre corps. Une architecture de l'immanence, qui accepte son rang matériel, son interdépendance aux conditions extérieures comme une modalité. Nos travaux évoluent dans ce règne sensible où l'architecture n'est au départ rien d'autre qu'un conflit nietzschéen entre une volonté humaine de croissance énergétique et de maintien des structures d'un côté et l'environnement extérieur qui abaisse, dégrade et désagrège de l'autre. Nous accueillons avec intérêt ces rencontres physiques car nous y découvrons la fertilité des enchaînements écologiques, la variété des causalités, les symbioses et les prédations biologiques, un formidable champ d'expansion avec ses propres comportements, puissants, capable d'engendrer des formes indépendamment de l'esprit et d'outils sémantiques ou plastiques. Ainsi, nous réévaluons les éléments de l'architecture que sont le matériau, la structure, l'espace ou la lumière selon leurs actions physiques. Nous étudions et travaillons sur les impacts et les échanges physiques, biologiques, électromagnétiques et chimiques entre l'architecture, l'environnement et notre organisme. La matière ne se restreint plus à une dimension statique ou symbolique mais s'engage dans des modifications physiques et chimiques avec l'extérieur sous forme d'érosion, de putréfaction ou de fermentation et acquiert une valeur alimentaire. L'espace n'est plus vide mais se définit comme une certaine quantité d'air, chimiquement constituée, dans laquelle nous sommes physiologiquement immergés, par la respiration, par la transpiration autant que les matières par l'oxydation. De même, la lumière gagne une dimension énergétique, par la capacité thermique des infrarouges, par la photosynthèse chlorophyllienne, par la régulation des rythmes biologiques et hormonaux. Nos projets fonctionnent comme des systèmes, identifiant les composants, programmant les échanges, permettant des transformations. Ils procèdent par émissions d'information et dépenses d'énergie, récupèrent, recyclent, altérant chimiquement l'environnement, stimulant électriquement l'être humain. Ils sont des entrées vives dans le monde physique, une volonté d'appréhender la construction de formes et de climats selon la réalité quantifiable du monde concret. Notre architecture s'accepte comme un milieu vivant dépassant son seul statut de figure esthétique ou de médiation politique. Notre volonté est de comprendre et de travailler avec les mécanismes physiologiques réels, au plus près des connaissances scientifiques et médicales actuelles. Ces mécanismes métaboliques et écologiques pourraient apparaître comme une sorte de quatrième dimension de l'architecture, invisible, énergétique, une architecture des particules permettant d'agir concrètement dans le monde et de produire des milieux physiques réels, ouverts à la vie et aux évolutions à venir.

Décosterd & Rahm, associés

 

 

Melatonin Room
2000

decosterd et rahm
decosterd et rahm

Melatonin Room est une architecture physiologique qui agit sur l'espace lui-même par transformation de sa constitution électromagnétique. Cette pièce se définit comme un espace de stimulation hormonale. Deux climats sont produits en alternance. Le premier est défini par l'émission d'un rayonnement électromagnétique à 509 nm à une intensité de 2500 lux, lequel supprime la production de la mélatonine par la glande pinéale. Cette hormone, lorsqu'elle est sécrétée, donne des informations liées à la fatigue et au sommeil. L'espace devient un lieu physiquement motivant, chimiquement excitant. Le second climat est une diffusion d'ultraviolets lesquels, au contraire, stimulent la production de la mélatonine. Melatonin Room est un espace sans représentation qui réduit au maximum le médium entre l'émetteur et le récepteur et agit sur les mécanismes chimiques des choses entre elles. Il travaille sur les nouvelles formes de communication engendrées par les biotechnologies et la génétique à côté de l'analogique, du poétique, de l'esthétique ou de la rhétorique.

 

Résidences nomades pour artistes sur les territoires du Conservatoire du LittoralLanguedoc-Roussillon, France,
Avec Gilles Clément et Michel Aubry, 1998

decosterd et rahm
decosterd et rahm

Entre le manteau de cuir dont nous nous revêtons et la pièce de viande que nous mangeons, l'habitat est en peaux de vache, levées au couteau, proprement écharnées, immédiatement salées et repliées sur elles-mêmes jusqu'à la pose sur une structure de type autotendante. Les poils sont à l'intérieur et constituent entre la fleur du cuir et le lin de la finition intérieure, une épaisseur climatique isolante. La viande est dehors. Les peaux sont constamment dans un équilibre précaire entre le putrescible et l'imputrescible. Le sel, contre lequel on a lutté sur ces rivages marins pour y établir une agriculture, devient maintenant un allié dans le maintien de l'espace habitable sous forme de tannage provisoire. Ici se dévoile de façon alimentaire, l'échange énergétique incessant entre l'homme et son environnement à travers l'architecture en tant que parasitisme et symbiose. Posé dans les enganes comme un maillon du cycle du carbone, acceptant les vents salés mais nécessitant fréquemment un apport supplémentaire de sel, l'habitat reste un élément nutritif possible pour la faune et les micro-organismes qui se l'approprient dès que l'habitant s'absente.

 

Expo.01
Design de l'Arteplage de Neuchâtel, Suisse,
avec Michel Desvignes et Yann Kersalé, 1998/1999

decosterd et rahm
decosterd et rahm
Décosterd & Rahm conçoivent la tension Nature-Artifice comme la mesure de la quantité d'énergie dépensée pour modifier des conditions physiques, chimiques et biologiques préalables. Leur architecture s'installe à ce niveau premier d'appréhension du monde, en amont des formes culturelles et symboliques. L'arteplage s'organise selon une progression lumineuse du visible à l'invisible. D'une lumière blanche, ils appauvrissent le spectre lumineux en supprimant progressivement les longueurs d'onde les plus courtes jusqu'à une lumière monochromatique violet. Ils passent dans l'invisible, jusqu'aux UV-C pour retrouver les infrarouges. Dans l'invisible, une relation physiologique interne s'installe entre le corps et l'espace, une relation médicale où se forment dans le corps la vitamine D, des stimulations d'enzymes, de ferments, une dilatation des vaisseaux sanguins entraînant une mobilisation d'antigènes. Les lampes germicides ultraviolet désinfectent et purifient l'air. L'espace que l'on croyait vide se présente comme un milieu invisible mais physique à la fois curatif et nocif.

 

Jardins physiologiques La Neuveville, Suisse,
concours avec Jérôme Jacqmin 2000

decosterd et rahm

Les jardins de Jean-Gilles Décosterd & Philippe Rahm traitent des sens, mais avec la connaissance des mécanismes chimiques et médicamenteux entre l'organisme et les substances actives des plantes. Ils conçoivent le jardin comme le lieu de l'immersion du corps dans le corps de la nature jusqu'à une modification du métabolisme, jusqu'à l'altération chimique de l'organisme, provoquant des interactions physiologiques entre la plante et le corps, de la bouche jusqu'à l'estomac, de la peau au sang, du nez au cerveau. Premier jardin : de l'épiderme contre le limbe, un parcours entre la douceur des graines de saules jusqu'à la Berce du Caucase entraîne des réactions phototoxiques définitives. Deuxième jardin : des parfums de roses que l'on respire jusqu'à l'Ambroisie et ses risques allergènes. Troisième jardin : manger, avec plaisir d'abord, le sucre des fraises puis perdre la saveur jusqu'à la Belladone laquelle provoque tachycardie et rétention urinaire. Quatrième et dernier parcours, presque psychique, entre des plantes apaisantes comme la verveine jusqu'à la grande Ciguë entraînant apnée et asphyxie.

decosterd et rahm
decosterd et rahm

 

Salle de sport
Neuchâtel, Suisse, 1998

decosterd et rahm
decosterd et rahm

L'architecture se donne comme une reformulation chimique et biologique du territoire, faite de transpiration et de photosynthèse, de combustion et de respiration dans laquelle l'homme prend place physiologiquement. La chaleur est produite par un système de chauffage solaire convectif utilisant les terres des excavations pour leur capacité d'accumulation thermique et d'inertie. Cette chaleur est ensuite pulsée dans la salle par renouvellement d'air contrôlé. La chaleur et l'oxygène sont absorbés par les joueurs, lesquels fournissent en retour de l'anhydride carbonique ainsi que la vapeur d'eau perdue par le corps lors de la transformation en énergie cinétique de l'énergie chimique des substances simples assimilées pendant la digestion. L'air ainsi vicié migre jusqu'aux vitrages latéraux où il se condense. Les plantes entre les vitrages absorbent l'anhydride carbonique de l'air ainsi que la condensation de la transpiration des joueurs et leurs sels minéraux. Cette photosynthèse chlorophyllienne permet la transformation de l'énergie solaire en substances nutritives ainsi que la production d'oxygène nécessaire pour brûler les aliments dont les joueurs ont besoin pour dégager de l'énergie.

decosterd et rahm

 

Philippe Rahm (1967)

Jean-Gilles Décosterd (1963)

1993 - Diplômés de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne
1993 — Création de Décosterd & Rahm, associés (Lausanne)

Principaux projets et réalisations

2000 — "Un centre de vaccination au Roundup", Lausanne jardins 2000 (réalisation été 2000) ; "Jardins physiologiques" avec Jérôme Jacqmin, Château de La Neuveville (2ème prix) ; "Melatonin room" installation
1999 — "Le pouvoir des fleurs", avec Alternet Fabric, Lausanne Jardins 2000 (concours-achat) ; "Dynamogénie" Bâtiment de l'EPSIC, Lausanne (lauréat 1er tour) ; Expo.01, Arteplage de Neuchâtel, avec Michel Desvignes, Yann Kersalé (projet sélectionné) ; "Campement électromagnétique", installation, exposition "Plein air", galerie Chez Valentin, Paris
1998 — Résidences nomades sur les territoires du Conservatoire du Littoral, Sérignan avec Gilles Clément et Michel Aubry (projet) ; "Une monnaie érodable" festival Belluard Bollwerk International, Fribourg (réalisé) ; "Chaleur" intervention pour le musée d'archéologie de Neuchâtel (sélectionné) ; "Salle de Sport" Neuchâtel (projet)
1997 — "Jardin sauvage au Rôtillon" Lausanne Jardins 97 (réalisé) ; "Des Champs cuits" réaménagement du centre de Saint-Sulpice (lauréat) ; "Le cadastre des fissures" Lausanne (prix spécial)
1996 — "Bar-VIP" Genèva-Arena (réalisé) ; "Maison à Montreux" transformation (réalisé); "Magasin City-Disc" Lausanne (réalisé) ; "Le béton géologique" avec Jean-Claude Deschamps, Uni-Dufour, Genève (concours-achat) ; aménagement d'une zone piétonne, Bienne (projet)
1995 — "Le très-bas" Centre d'enseignement secondaire, Morges avec Keller++Weber (mentionné) ; "Nescafé Bar", Geneva-Arena (réalisé) ; "Le contrat naturel" Place du Château-Lausanne pour Mondada SA (mentionné) ; Concept du paysage et du végétal dans le coteau de Cour-Lausanne avec W. W. Nossek (projet)
1994 — "L'enfant Maudit" Un garage préfabriqué, est-ce de l'architecture ? Concours "BTR / Prebéton" (lauréat)
1993 — "Quelques lieux communs" Intervention artistique, Bellerives-Lausanne (1er achat).

Publications de Philippe Rahm et Jean-Gilles Décosterd

1999 — "The Chemicals Lovers" Parpaings, Paris ; "Elisabeth Creveseur" catalogue, Vidéos 1993-1999, MAC, Marseille ; "Une architecture de l'immanence" Inter n°72, Montréal
1998 — "Les natures en ville" Anthos n°1, revue de paysagisme, Molondin ; "Soigner et construire, tel est le bâtir" Quaderns n°220 ; "Sous les pavés, l'herbe" l'Architecture d'Aujourd'hui n°317 ; "Seconde genèse" catalogue de l'exposition "Mutations @morphes, R.DSV & Sie.P" FRAC Centre, Orléans
1997 — "Les arbres devraient-ils avoir un statut juridique ?" Quaderns n°217, Barcelone ; "La friche et la ville" l'Architecture d'Aujourd'hui (sept.) ; "Gilles Clément, Traité succinct de l'art involontaire" Art Press n°226
1996 — "Sur le sol du monde sensible" Art Press n°213 ; "Roche DSV & Sie au Magasin, Grenoble" l'Architecture d'Aujourd'hui (juin)

Bibliographie sélective

2000 — "Soleil Vert" Parpaings n°12, Paris ; "Jardins 2000" IAS n°05
1998 — "Lausanne Jardins, une envie de ville heureuse" Edit. du Péribole, Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles ; Inter n°69, Montréal
1997 — Architecture Suisse n°127, Lausanne ; Quaderns n°214 et 217, Barcelone ; Archimade n°55, Lausanne