Didier Fuiza Faustino (F)

faustino
Body building
performance vidéo, 1996
La réflexion de Didier Fiuza Faustino a pour dimension centrale le corps. Non pas le corps comme machine de référence, mais le corps comme composante spatiale. Car comment envisager un espace autrement qu'à travers sa relation avec le corps qui le pratique ? Il s'agit donc de prendre en compte les interactions de l'un avec l'autre ainsi que les potentialités d'action de chacun en amont de toute conception. Le domaine à saisir est celui de la perception, en témoigne une série de travaux interrogeant le paraître, le tactile, l'instabilité visuelle et physique. C'est aussi celui du déplacement, à l'image des containers chorégraphiques où le parcours est un des éléments constitutifs de l'architecture mise en place. Enfin, et logiquement, c'est celui de l'entre-deux, de l'infinitésimal. Considérer les liens de deux univers, n'est-ce pas essayer de saisir l'impalpable, l'espace-temps qui les unit (ou les sépare) ?

Que ce soit à travers ses projets architecturaux ou ses explorations dans le champ des arts visuels - qui s'enrichissent mutuellement - Didier Fiuza Faustino nous fait ainsi entrer dans une dimension sensible dont le corps est l'atome et l'architecture l'interface. Il scrute nos sens et leurs prolongements dans l'espace construit au risque de les mettre à mal. Bien que le précaire ne conditionne véritablement son travail, son attachement à cette notion le pousse à concevoir son rôle et ses projections dans une impermanence. Désireux d'être un agent provocateur plutôt qu'un émissaire, il souhaite par conséquent intégrer avant tout le dysfonctionnement comme vecteur de production de l'espace.

Il y a en effet dans les recherches menées une posture sous-jacente, politique, qui va à l'encontre de l'ordre et du propre. Ayant flirté dans ses premiers instants avec un mouvement ambiant en faveur d'une certaine "guérilla urbaine", elle se cherche désormais dans plus de sérénité mais revendique définitivement les "actions vicieuses" comme le montrent par exemple les déformations insidieuses de la vidéo In, trans, ex (1997) ou la lecture perverse de la diplomatie du projet d'ambassade du Portugal à Berlin (1998). Elle s'exprime également dans la lecture critique de nos comportements et de nos relations à autrui, à notre environnement. La mise en exergue du désir, de l'exhibition, mais aussi du regard inquisiteur, ancrés en chacun, motive alors des projets tels que Personal billboard (1999). L'intimité est sondée dans ses limites et remise en question au vu de notre contemporanéité, des nouveaux modes de communication et d'expression qui nous entourent, de nos envies émergentes.

Or, ce cadre est celui même des modes de représentation choisis, cependant, dans une démarche investigatrice, visant à se servir du médium surtout comme outil exploratoire. L'espèce d'immatérialité qui émane des images vidéos ou informatiques données à voir contraste avec le monde (épi)dermique construit au fil des projets, mais affirme paradoxalement la réflexion récurrente dans l'ensemble du travail de Didier Fiuza Faustino qui nous pousse à nous interroger sur notre place et notre rôle dans ce monde, à travers notre relation à l'espace construit dans son immédiateté et sa temporalité.

Marie-Hélène Fabre

 

Alice's House
Habitat concept-projet 1998/99
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Il s'agit d'une membrane souple qui relie deux maisons individuelles : deux accès croisés se fondent en un par le biais d'une passerelle "monosurfacique".
Cet espace est pensé à plusieurs échelles auxquelles correspondent autant d'interrogations :

- Echelle de l'urbain
C'est un interstice urbain dont le statut interroge la réglementation urbaine et la notion de propriété : une double extension qui nécessite deux permis de construire. Copropriété ou extension simple ?

- Echelle du bâti
C'est donc l'extension des deux bâtiments, une excroissance quasi organique qui permet un changement d'état : un devenir "deux" et non plus une simple passerelle.

- Echelle de l'individu
C'est un espace qui sensibilise l'individu à son propre déplacement, ceci afin qu'il prenne conscience de son corps, de son environnement et de ce passage d'un état à un autre.

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Ambassade du Portugal
Berlin, Allemagne
avec Marie-Hélène Fabre et Stephane Metay
Concours, 1998

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En refusant tout stéréotype culturel ou esthétique, l'ambition de ce projet est de proposer une vision qui révèle la dimension duale de la diplomatie, à la fois science de guerre et de paix.Telle une apparition, le bâtiment affleure les eaux troubles de l'histoire. La distribution horizontale et verticale des éléments du programme se fait selon leur fonction (chancellerie / résidence) et leur degré de confidentialité (public / privé / secret-défense) ; éléments publics et privés [fonctionnement externe ou interne] se trouvent ainsi exposés au regard ou, a contrario, cachés. La partie émergente de l'édifice, Hydre à trois têtes toisant la Déesse de la victoire et le Reichstag, s'enfonce dans les eaux vitreuses d'un jardin aquatique pour atteindre le tréfonds. Son pied fragile, espace de pincement, est un point de stabilité et de déséquilibre, un point d'attache précaire pour un édifice à l'histoire imprévisible. A la fois bunker et "joystick", l'ambassade s'érige en une forme insolente, vouée à l'altération : du bleu-ange au kaki-sale, ses parois virent, cédant au temps leur transparence. Après la lumière, le secret.

 

CCRG, Centre Culturel de Ribeira Grande
Ribeira Grande, Archipel des Açores, Portugal
avec Pascal Mazoyer et Jean-Luc Ngo
Concours, 1999

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Trois notions régissent ce projet : le parcours, l'instabilité et l'interstice. D'une part, le parcours, car il s'agit de privilégier la relation de l'usager à l'espace qui l'entoure. Ses déplacements sans cesse renouvelés au gré de la collection ou des expositions temporaires du musée sont l'occasion d'aiguiser sa conscience de l'architecture dans laquelle il évolue. D'autre part, l'instabilité, car il s'agit de mettre en abîme les repères pour mieux exciter les sens et procéder à une sorte d'hyper-sensorialité. Et enfin l'interstice, car il s'agit de donner une vision fragmentée du bâtiment, de son architecture, de son environnement afin de susciter la curiosité et de favoriser le parcours. C'est également le moyen d'offrir des fuyantes et des échappatoires visuelles qui sont autant de moments de vertige ou de respiration. Cela s'est matérialisé par l'association de trois éléments structurants : une ossature bois qui inscrit l'édifice dans la légèreté, un mur de façade gauche semblable à une peau dont on ne peut saisir précisément les contours, et un système de "plateaux-planchers" offrant perméabilité et liberté spatiales. Grâce à ce dispositif global, une relation particulière s'instaure entre l'édifice, le visiteur, la ville et les œuvres données à voir. Chaque élément interagit sur les autres par le biais d'une perception exacerbée ou simplement stimulée : une relation finalement semblable à celle d'un système autonome.

 

Personal Billboard : an Urban Peep Show
Habitat concept

faustino
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Il s'agit d'une maison individuelle dotée d'un écran géant externe qui diffuse des séquences vidéos de ses occupants. Cette interface entre l'intérieur et l'extérieur, l'intime et le public agit dans le cadre, mais également au-delà, d'un jeu mêlant exhibition et voyeurisme. Pensée comme une extension de la sphère personnelle, cette interface permet à l'individu de se projeter littéralement dans le cadre urbain et de s'y fondre, tel un élément de paysage. La maison individuelle investit ainsi un "espace de vie" aux limites dissoutes, une dimension autre, explorant un champ qui déborde alors celui exploité par les webcam. Instrument des possibles, le Personal Billboard est une composante du territoire dans lequel il s'insert, à la fois réification d'une virtualité et élément de réflexion /réflexivité des rapports à autrui et à l'espace.


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Didier Fiuza Faustino (1968)

1995 – Diplômé de l'Ecole d'Architecture de Paris-Villemin
1996 – Architecte indépendant au Portugal et en France ; Co-fondateur du "Laboratoire d'Architectures Performances et Sons" (LAPS) à Paris
1997 – Co-fondateur de l'Atelier Pluridisciplinaire "Le Fauteuil Vert" à Paris
1998 – Co-fondateur, co-directeur et directeur artistique de la revue "Numeromagazine" Lisbonne

Principaux projets et réalisations

1999 – "Urban Rhizome – hotel for the aliens" Roswell Housing Competition (mentionné) ; "CCRG" Centre Culturel de Ribeira Grande, Açores (concours) ; "Personal Billboard : an Urban Peep Show" Habitat concept (projet) ; "Alice's House" Habitat concept (projet)
1998 – "Vertigo" Appartement, Paris (réalisé) ; "Ambassade du Portugal à Berlin" (concours) ; "Immersion" Vidéo
1997 – "Ensemble résidentiel et piscine", Sainte-Anne, Guadeloupe (concours sur invitation / Deuxième Prix) ; "My First House" performance, Leiria, France ; "In, Trans,Ex" Vidéo
1996 – "To Experience Fragility" Shinkenchiku Residential Design Competition, Japon ; "Body Building" performance/vidéo

Expositions récentes

1999 – "(A)casos (&) Materiais", CAPC (Centro de Artes Plasticas de Coimbra)
1998 – "Interferência 01", Lisbonne, Principe Real
1997 – "Beau comme un Camion" Exposition Collective, Europride, Paris

Bibliographie sélective de Didier Fiuza Faustino

1999 – "Architecte Borderline" Charles-Arthur Boyer, Art-Press n°245 ; "Tra Body Art and Architecture" Francesco Careri, Spacio & Societa n°85 ; "Tirer un Homme de sa Torpeur" et "Expressions" Parpaings n°3, France
1998 – "Mode d'Emploi" Visuel n°3/4 ; "Mésarchitectures" Numéromagazine n°00, Lisbonne