Kengo Kuma & Associates

| Kengo Kuma (*1954)

kengo kuma

"Je veux effacer l'architecture", écrit Kengo Kuma,"c'est ce que j'ai toujours voulu faire et il est improbable que je change jamais d'avis." Effacer l'architecture, la rendre transparente à elle-même, empêcher tout objet d'apparaître est une problématique récurrente dans l'œuvre déjà abondante et multiple de l'architecte de Tokyo. Entre 1986 et 1991, Kuma explore, dans ses réalisations, le collage hétérogène, la superposition brutale, l'interférence stylistique. Cette architecture du chaos, il entend la dissoudre dans le chaos même de la ville japonaise en pleine mutation. L'immeuble M2 (1989-91) empruntant les accents ironiques du post-modernisme, en est une tentative exacerbée. Mais Kuma se heurte, à cette époque, à un paradoxe : tout en voulant dissoudre l'architecture, dénoncer l'objet, il produit, malgré tout, de nouveaux objets tout aussi prégnants. Après cette exploration formelle du chaos, Kuma a peu à peu déplacé la problématique depuis l'objet vers le sujet qu'il a progressivement remis au centre d'un processus de disparition, cette fois phénoménologique, de l'architecture. Par ses sens, son regard, son mouvement dans l'espace, le sujet seul peut, selon lui, réactualiser l'architecture en dehors d'elle-même. Cette phase coïncide avec la fondation, en 1990 de son agence Kengo Kuma & Associates, à Tokyo. Dans son projet pour l'observatoire de Kiro-San (1994), plus qu'ailleurs, Kuma a mis à l'œuvre cette nouvelle voie. Opérant une réversion du regard, un retour du vu sur le voir, il tente de résoudre le paradoxe. Le bâti se fait ici invisible, creusé dans le terrain, comme si l'architecture voulait s'étendre à la montagne entière et au paysage qui s'offre aux regards. Il en est de même dans le Kikatami Canal Museum (1994) où l'architecture fonctionne comme un nœud, un pont qui résout les discontinuités du paysage naturel et artificiel, véritable objet du projet. Les nouveaux outils de l'architecte que sont les technologies numériques constituent pour Kuma un nouveau champ d'exploration de dé-territorialisation et d'effacement de l'architecture ; elles dissolvent toute hierarchie, toute territorialité existante en un instant. La forme est coupée de sa cause, de son mode de génération originelle (vocabulaire classique ou moderniste) et se trouve réduite à une combinatoire de données, manipulables et transformables à l'infini. Ce processus de digitalisation offre de mutiples opportunités à l'architecture : tout d'abord, il peut la libérer totalement de l'emprise de l'œil, ensuite, il l'ouvre à des logiques plus temporelles que spatiales et, enfin, il permet de dissoudre la distinction entre bâti et non bâti, intérieur et extérieur, forme et fond. Dans la série de projets intitulés "Digital Gardening", Kuma exploite ces nouvelles conditions. Il n'intervient plus sur des objets mais sur des paysages ; l'enjeu est de retisser l'unité d'un monde en morceau ; l'architecture ne se limite plus à l'objet isolé mais s'applique continuement à tout l'environnement. Une ultime manière de l'effacer.

 

 

Bamboo House
Japon, 2000

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Ce projet de maison se propose de redécouvrir et de réactualiser l'essence de l'architecture traditionnelle japonaise, à travers l'emploi à la fois structurel et non-structurel du bambou. La principale qualité du bambou, selon Kuma, est qu'en tant que matière première, il ne nécessite aucun façonnage. De manière générale, tous les autres bois sont façonnés, d'une façon ou d'une autre, avant leur emploi comme matériau de construction. Ils le sont selon une configuration particulière, en coupe, pour devenir un morceau de bâtiment. À l'inverse, le bambou est utilisé dans sa forme d'origine. Ainsi, il est en même temps un produit et un matériau. Il est à la fois un symbole et une réalité. Ce projet s'intéresse à la disposition du matériau, en tant qu'élément intègre, plutôt qu'à sa transformation destinée à son intégration dans une architecture. C'est une sorte de coïncidence, une exception, un cas particulier non définitif, si les branches de bambou se trouvent disposées selon un ordre dans la maison. Ces branches peuvent retrouver leur nature authentique dès que l'ordre où elles s'inscrivent s'évanouit, comme dans leur environnement naturel.

 

Kikatami Canal Museum
Miyagi, Japon, 1999

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Le canal Kikatami est un des plus anciens au Japon. Ce projet, qui comprend un musée et un espace de loisir, occupe un terrain à l'intersection du canal et de la rivière Kikatami. L'architecture est creusée dans le sol et l'apparence même d'une architecture est évacuée du programme. Le bâtiment est dessiné de telle manière que le chemin longeant le site se prolonge dans l'espace souterrain. Le chemin, en forme de U, se transforme soudain en architecture évitant ainsi tout contraste entre les deux. Les deux éléments se fondent pour ne former qu'une seule ligne. Ce qui est en jeu, ici, est l'ambiguïté des limites physiques entre l'architecture, le paysage et l'infrastructure. Un canal est à la fois un élément naturel et artificiel. Sans un effort d'assimilation du canal dans la nature, la continuité des eaux du canal serait impossible. Par ailleurs, si on ne pense pas le canal comme une pure infrastructure, toute navigation serait compromise. Le canal conjoignant ainsi l'artificiel et le naturel, la finalité du musée est de mettre en scène cette condition paradoxale.

 

Musée Ando Hiroshige
Tochigi, Japon, 2000

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Ando Hiroshige est, dans l'histoire de l'art japonais, un représentant de la peinture "ukiyoe". Ses œuvres originales, redécouvertes lors du tremblement de terre de Hansin (1995), ont été offertes à la ville de Batoh, préfecture de Tochigi. Le musée qui lui est dédié se compose d'une série de trames de lattes de bois, se retournant sur les murs et le toit. Au gré des changements de la lumière qui s'infiltre dans l'espace, l'essence des trames s'altère. Parfois elles se transforment en surfaces pleines et translucides, d'autres fois en plans transparents. Fondant l'architecture uniquement sur ce système de trames, Kuma a voulu que son bâtiment fonctionne comme un capteur de lumière. Les œuvres "ukiyoe" de Hiroshige se caractérisent par une visualisation de la nature dans ce qu'elle a de plus fluctuant (lumière, vent, pluie, brouillard,…) et par l'élaboration d'expressions fixes de ces fluctuations. Il réalise ce paradoxe en sélectionnant des élements naturels, ayant des caractéristiques claires et spécifiques, et en les combinant avec la couleur. Le projet de Kuma, reprenant fondamentalement la méthode selon laquelle Hiroshige aborde son art, ré-articule, quant à lui, ces élément avec le vocabulaire de l'architecture.

 

Stone Museum
Nasu, Japon, 1998/2000

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Ce projet vise à réhabiliter trois entrepôts traditionnels japonais construits, jadis, en pierre dans la région d'Ashino, province de Tochigi. Développant un programme de Musée de la Pierre, le projet s'attache à réaménager l'espace urbain grâce à des nouveaux passages destinés à retisser entre eux les espaces intérieurs et leur contexte immédiat. Ces passages sont construits selon deux types de murs "légers". Le premier type produit de la "légèrté" par la mise en œuvre d'une succession de strates de pierre (abats-son). À cet égard, ce projet est un prolongement des recherches du Pavillon Japonais à la biennale de Venise de 95. La pierre est un matériau typiquement lourd et inerte dont l'enjeu réside dans la mise en œuvre. Ainsi, dans le projet, un sens de l'immatérialité, de l'ambiguïté et de la légèreté peut être atteint en "dé-solidifiant" le matériau en strates. Le second type de mur produit de la "légèreté" en ouvrant de multiples petites embrasures dans l'appareillage. La dureté de la pierre est ainsi relativisée en creusant dans la solidité du mur. Cela crée une ambiguïté dans les limites du projet ainsi qu'un partage de la lumière en une subdivision d'infinies particules.

 

Noh Stage in the Forest
Miyagi, Japon, 1996

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La tradition du théâtre Noh est née au XVIème siècle. La ville de Toyama, province de Miyagi, est connue pour son style unique de Noh, baptisé Toyama Noh, joué depuis la dynastie Edo. Ce projet est destiné à la représentation de pièces de Toyama Noh dans la forêt. Le concept fondamental du projet est de libérer la scène Noh et de l'intégrer dans l'environnement. Typiquement, la scène Noh est traitée comme une scène de théâtre complètement autonome de toute fonction architecturale. Ce type de dispositif a été initié sous la dynastie Meiji. Pourtant, le véritable théâtre de la représentation Noh est la nature elle-même, où le vent accompagne la narration, où l'espace de la scène représente la mort alors que celui où sont assemblés les spectateurs représente le monde de la vie. Dans ce projet, Kuma a cherché à reproduire et à actualiser le concept original de la scène Noh. Au lieu de construire une architecture, sa finalité était d'offrir un jardin pour sa représentation.

 

Kengo Kuma (1954)

1979 — Diplômé de l'Université de Tokyo
1990 — Création de Kengo Kuma & Associates
1997 — Prix international DuPont Benedictus ; Grand Prix de l'AIJ (Architectural Institute of Japan)

Enseignement

1994 — Columbia University

Principaux projets et réalisations

2000 — "Museum of Ando Hiroshige" Tochigi, Japon (réalisé) ; "Nasu Stone Museum" (réalisé), "Bamboo House" (projet)
1999 — "Kitakami Canal Museum" Miyagi, Japon (réalisé) ; "Wood/Slats" Kanagawa, Japon (réalisé)
1998 — "Memorial Park" (projet) ; "Valley/Slats" (projet) ; "Water/Slats" (projet)
1997 — "Ocean/City" (projet)
1996 — "River/Filter" Fukushima, Japon (réalisé) ; "Noh Stage in the Forest" Miyagi, Japon (réalisé) ; "The 2005 World Exposition" Aichi, Japon (projet) ; "Kansaï-Kan of the National Library" (concours)
1995 — "Water/glass" Kanagawa, Japon (réalisé)
1993 — "Japan Museum" Shiodome (projet)
1994 — "Kiro-San Observatory" Ehime, Japon (réalisé)

Bibliographie sélective de Kengo Kuma & Associates

2000 — "Kengo Kuma : Geometries of nature" l'Arca Edizioni, Italie
1999 — GA Japan, Environmental Design (mai/juin) Japon
1997 — "Kengo Kuma : Digital gardening" Space/Design (n°97 11 ) Japon
1995 — "Beyond the architectural crisis" éditions Toto Publishing, Japon
1994 — "Catastrophe of architectural desire" éditions Shinyosha, Japon ; "Introduction to architecture history and ideology" éditions Chikuma Publishing, Japon
1991 — "Family as a system" Iwanami Shoten, Japon
1990 — "10 Houses" éditions Chikuma Publishing, Japon (Toto Publishing en 1986)