Naga Studio Architecture

L'architecture doit être placée dans un contexte philosophique plus vaste. Les architectes ne peuvent plus se permettre de rester à la traîne et de s'attarder au sein des modèles mécanistes, post-industriels et post-classiques. L'attitude bergsonienne envers la philosophie selon laquelle "il est impossible d'accepter la relation établie par pur intellectualisme entre la théorie des connaissances et la théorie du connu, entre la métaphysique et la science", constitue un modèle philosophique approprié pour l'architecture d'aujourd'hui. Deleuze et Guattari, qui invoquent une position semblable, considèrent Nous et Physis, (la métaphysique et la physique) comme les deux facettes du plan d'immanence des concepts, le "planomenon" (qu'on peut appeler "planomène"). Henri Bergson a déclaré que "[…] la forme est essentiellement étendue, inséparable dans la mesure où elle découle de l'extensibilité du devenir qui l'a matérialisée au cours de son flux. Toute forme occupe ainsi l'espace comme elle occupe le temps." Cette phrase de Bergson résume les deux principes fondamentaux sous-tendant les principes de base de mon expérience de l'architecture : l'état du devenir et le flux. Les manifestations architectoniques et topologiques suivent différents modèles comportementaux de devenir en réponse aux forces et flux inhérents, sur le plan métaphorique ou typologique. Les deux disposent de codes internes de comportement, "les attributs ésotériques", et de codes externes d'influence, "les attributs exotériques". Leurs règles de participation sont interdépendantes : un continuum topologique peut provoquer "par gravitation" le déploiement, l'enchevêtrement ou le fléchissement de plans ou de volumes. Le flux de l'architectonie émergente peut au contraire entraîner la rupture, le gauchissement ou la déformation d'une membrane continue. La fixité et la stase peuvent survenir uniquement à un certain seuil (un point de suspension) où les flux se déplacent le long de vecteurs opposés : un contre-état subversif au point d'inflexion d'un continuum topologique. Le concept d'inflexion de Deleuze (un état d'ambiguïté et d'apesanteur) permet-il un cas de métastase, une inversion de l'objectif vectoriel et du désir, à un point d'intersection ? Un point de turbulence. Les volumes architectoniques (en implosion ou en explosion) qui s'entrecroisent avec les conditions topologiques, deviennent effectivement des turbulences dans le flux des surfaces continues. Selon ce paradigme philosophique, il est impossible de gérer de manière appropriée des concepts morphologiques (topologiques ou architectoniques) dans le cadre des coordonnées cartésiennes. Un système alternatif de coordonnées spatio-temporelles approprié à l'épanouissement simultané de l'espace et du temps devient alors une phase inévitable dans l'évolution. [Nous développons actuellement un système de coordonnées, Tetra-Vectors ©, utilisant les quatre vecteurs d'un système tétraédrique comme les coordonnées vectorielles de base (Vt1, Vt2, Vt3, Vtn). Dans ce système, les valeurs Vt spatio-temporelles sont imputées à chacun des quatre vecteurs. Par conséquent, chaque point dans l'espace tombe dans un tétra-quadrant spécifique. Le quatrième vecteur porte une valeur (t) potentielle intrinsèque pour que ce point vibre, devienne actif dans le mouvement (c'est-à-dire Vt1, Vt2, Vt3, Vtn º Vt1, Vt2, Vt3, Vtn+X) (fig. 1)] Dans ces vecteurs Vt, un "planomenon" de fragments architectoniques ou de continuums topologiques est imprégné d'un devenir projectif. Une instabilité inhérente et un équilibre fragile imprègnent le comportement de l'espace. Cette architecture aspire à créer de l'espace tout à la fois émergent et convergent, en implosion et en explosion. L'espace est physiquement et métaphysiquement chargé du désir de se transformer, de se transmuter et de se dérouler.

Tarek Naga

ESK House
(House of Emergent Suspensions)
Le Caire, Egypte, 2000

Trois états de suspension, définissant les aspects de la vie du client, constituent et définissent la morphologie et le comportement spatial de la maison : premièrement, en tant que cinéaste (suspensions d'incrédulité) ; deuxièmement, en tant qu'ingénieur de satellites (suspensions non gravitationnelles) ; troisièmement, en tant que joueur de water-polo (suspension physique dans l'eau). Métaphoriquement, les suspensions sont des conditions primordiales, ontologiques et cosmologiques. Leurs espaces se développent autour d'un "axe d'ascension" dans une trajectoire ascendante. Ainsi, regarder fixement des corps célestes prend naissance en un point primordial symbolique "d'émergence de l'eau". Les espaces domestiques décrivent un arc de cercle le long d'un "axe de descente", s'entrelaçant sans intersection avec l'axe d'ascension. Cet arc descendant, qui relie les chambres à coucher à l'espace d'habitation, est orienté vers le plateau inférieur du terrain. Une membrane contient et porte les éléments constitutifs de la maison. Elle est suspendue à flanc de coteau, d'un côté, pour provoquer un sentiment d'instabilité et bercée, de l'autre côté, par les lignes de niveau continues pour évoquer un sentiment de confort et de stabilité.

Marina International Hotel
Marina del Rey, Los Angeles, USA, 1998

Ce projet vise à fonctionner comme un événement spectaculaire dans le paysage de la Marina. La tour verticale consiste en deux lames articulées comme par une charnière. Ceci crée un état limite, comme un tesson en forme de couteau émoussé qui monte et qui descend. Un volume elliptique lisse flotte horizontalement au-dessus du niveau de la cour intérieure, glissant et sculptant l'espace vide dans la base de la tour. Les forces d'intersection des deux génératrices (verticale et horizontale) dégagent l'entrée du restaurant public. Sur le bord étroit des blocs de la tour éclatée, une plaque repliée monte en enveloppant les côtés et se déploie au sommet, créant un abri de jardin suspendu. Ce mouvement se superpose à une barre en torsion accrochée en l'air en porte-à-faux. La torsion de cette barre supérieure marque l'extension de la force de la génératrice verticale surgissant du coin inférieur. Les étroites plaques repliées jouent le rôle d'accélérateur, tandis que les membranes continues curvilignes agissent comme décélérateurs. L'effet recherché est de créer un lent mouvement planant au niveau de la couche de base, et une puissante et rapide montée.

Sharm Safari Gate
Sharm el Sheikh, Sinaï, Egypte, 1997

Dans l'histoire et la mythologie égyptiennes, le désert du Sinaï représente la solitude et le nomadisme dans leur quintessence. Un ensemble de bâtiments conçu pour l'exploration d'un lieu aussi riche doit s'inspirer de sa complexité naturelle et symbolique. Tant mentalement que physiquement, les explorateurs du Sinaï passent de la réalité et des ornements de notre siècle au monde inconnu de la sauvagerie primordiale de l'époque biblique. C'est ce sur quoi s'appuie, dans le projet de Tarek Naga, la narration de ces cinq capsules, chacune d'elle étant, d'un point de vue métaphorique, un voyageur. Cherchant à pénétrer le mystère du lieu, elle se groupent et se regroupent, évoluent et muent en différentes entités. L'une d'elles se métamorphose en une entité intelligente finissant par guider l'ensemble. Une membrane qui les survolait se met à les protéger. De longs tentacules se fixant au sol, à peine. Dans un acte de défi, "la capsule du vol" s'introduit dans l'abri et se blottit au-dessus des boucliers repliés, dans un désir d'attester de son vol : sa raison d'être même. Un lieu conçu pour des explorateurs nomades est lui-même engendré par un mythe nomade. L'architecture est imprégnée de la fonction même que l'on s'attend à la voir jouer.

The Red Sea Resort
Hôtel et Villas (prototypes I, II et III)
Hurghada, Mer Rouge, Egypte, 1993-94

Dans son ensemble, la configuration du bloc continental s'étend en deux armatures embrassant le rivage. Se décomposant en fragments plus petits, et pénétrant progressivement dans la mer, elle crée l'illusion que l'eau calme a eu le pouvoir de façonner un tel objet. Au point où la base se disloque, les tessères architectoniques de l'hôtel, liées horizontalement, et les équipements collectifs semblent avoir engendré les structures plus délicates et fragiles des villas. La courbe majestueuse d'un arc en verre émerge du lagon. Une "horloge marémotrice" animée glisse sur cet arc, suivant le rythme cyclique du flux et reflux de la mer. Les espaces interstitiels prisonniers entre le mouvement d'arc montant de l'aquarium, le flux des mouvements et le repli des volumes de l'hôtel incarnent un paradoxe particulier au genius loci de la région de la Mer Rouge. Dans le Prototype III (groupe de 6 villas), les éléments architectoniques ont une relation ténue à leur base. L'enveloppe extérieure de chaque unité est composée de plaques repliées (boucliers) jointes les unes aux autres, ce qui leur permet de se tordre, de se plier ou de tourner en un assemblage qui diffère selon leurs différentes orientations. L'ensemble se comporte selon un mouvement répétitif qui semble de nature "chronophotographique".

Tarek Naga (1953)

1985/1982 — Ph.D. Candidate, Doctoral Program in Architecture, University of Pennsylvania, Philadelphie
1982 — Master of Architecture, University of Minnesota, Minneapolis
1977 — Graduate Diploma of Urban Planning, Aim Shams University, Le Caire
1975 — Bachelor of Science in Architecture, Aim Shams University, Le Caire
1991 — Création de Naga Studio en 1991 à Venice, Californie

Enseignement

1999/1998 — SCI-Arc, Los Angeles, Californie
1999/1998 — Cal Poly Pomona, Department of Architecture, Pomona, Californie
1998/1991 — Art Center College of Design, Pasadena, Californie — Boston Architectural Center (87/89) ; University of Pennsylvania (82/84) ; University of Minnesota (79/81) ; Aims Shams University (75/79)

Principaux projets et réalisations

2000 — "Pavillon Egyptien" Biennale de Venise (en cours) ; "House of Emergent Suspensions" (Esk House), Le Caire (projet)
1998 — "Marina International Hotel" Los Angeles, Californie (en cours) ; "Korekosmu" théâtre expérimental et film, Los Angeles
1997 — "The Heritage House" Rochester, Minnesota ; "Sharm Safari Gate" équipements touristiques, Sinaï, Egypte (en cours)
1996/97 — "The Sharm Retreat" Sharm el Sheikh, Sinaï ; "The Malibu Retreat" Malibu, Californie
1995 — "The Raslan's Residence" Jeddah, Arabie Saoudite (projet) ; "The Scandar's Residence" Le Caire ; "Yokohama Port Terminal" Japon (concours)
1994/1993 — "Red Sea Resort" (Afras Village) Hurghada, Mer Rouge, Egypte (projet)
1993 — "Taba Tourist Resort" Taba, Sinai, Egypte (projet)
1992 — "Nara Cultural Complex" Japon (concours) "New horizon Elementary School" Pasadena, Californie (projet)
1991 — "The Mc Millan's House" Silver Lake, Los Angeles (projet)

Publication de Tarek Naga

2000 — "Domestication of Modernity" New Art Examiner, Chicago

Bibliographie sélective

2000 — Global Architecture, GA Houses, Project 2000 (vol.53) Tokyo
1997 — Global Architecture, GA Houses, Project 97 (vol.52) Tokyo
1996 — Surfaces, W.W. Norton & Company, New York ; Global Architecture, GA Houses, Project 96 (vol.48) Tokyo ; L'Architettura (vol.481) Milan
1995 — Global Architecture, GA Houses, Project 95 (vol.45) Tokyo ; Ryuko Tsushin (vol.385) Tokyo
1992 — UIA Conference Publication, UIA Work Group, Le Caire
1986 — "Drawing Towards Building" catalogue d'exposition, Pennsylvania Academy of Fine Arts, Philadelphie ; Personal Choices, Foundation for Architecture, Philadelphie
1980 — Human Spaces, University of Minnesota, School of Architecture, Minneapolis