Rudy Ricciotti

| Rudy Ricciotti (*1952)

 

Ingénieur et architecte, Rudy Ricciotti pratique, dans les années 1980, une architecture hédoniste, revendiquant le plaisir de la forme, de l'espace, qui se détourne, au tournant des années 90, des apories formelles du néo-modernisme. Son travail se charge dès lors d'une radicalité critique qui s'actualisera dans le Stadium de Vitrolles (1994). Ce bunker suburbain en béton noir se dresse au milieu des coulées de bauxite, requalifiant une décharge. L'artiste du Land Art, Robert Smithson, invoquait la notion de "ruines à l'envers" pour cette nature post-industrielle. De même, architecture et paysage sont à Vitrolles entropiques, tout à la fois vitalistes et fracturés dans leur traversée sémantique. L'expressivité brute de ce monolithe, bloc isolé, concrétion minérale, est en même temps un paradoxe. Sa façade s'atomise en de multiples motifs rouges, qui irradient jour et nuit. L'imposition massive du bâtiment s'évide à l'intérieur dans des parois violemment extrudées. Les ressacs de lumière s'effilochent en filaires qui strient l'espace de leurs vibrations cinétiques. Forme et informe, opacité et trouées, compacité et soulèvements, ténèbres de la masse primitive et lumières télescopées, renvoient, dans leur alchimie brutale des contraires, à la poétique du Sublime, aux constructions spatiales suprématistes où la matière et le signe, l'obscur et l'illuminé ne font qu'un. Tout contribue ici à déjouer l'appréhension unitaire du bâtiment. L'architecture est d'emblée un signe hétérogène et paradoxal. La forme n'est pas irréductible, le beau et le laid ne sont pas des finalités, mais des processus opérationnels qui doivent ouvrir sur des champs hybrides d'appropriation du réel qui déboucheront sur une architecture que Ricciotti qualifie d'"impure". L'architecture comme artefact, conflagration de possibles prélevés dans le tissu composite du réel et dans celui, fictif, de la création artistique. L'apollinien et le dyonisiaque, le minimal et l'expressif confluent dans cette incise transgressive du territoire qu'est la Villa Lyprendi (Toulon), fenêtre étirée horizontalement sur trente-cinq mètres, entaille de transparence dans le paysage environnant. Souvent le regard ne s'ouvre sur l'extérieur qu'à travers des fentes qui laminent l'espace (Collège 600, St Ouen, 1997 ; Maisons EDF, 1999), comme pour exclure tout point de vue souverain sur le monde. Cette architecture de la faille, de l'obliquité du signe, de la résistance aux découpages catégoriels de l'espace, du refus des hiérarchies sclérosantes, qui promeut la polysémie de l'artifice et du factice (palmier mort et bleu de Vitrolles ou champ de coquelicots à St Ouen), est ainsi celle de la disponibilité du sens. Amateur et collectionneur d'art contemporain, Ricciotti revendique une esthétique de la pauvreté, du vulgaire, du "low-tech" comme matériau énergétique. Les voies conceptuelles qu'explore Ricciotti se donnent dans une tension entre optimisme et négativité ; la complexité du réel, - le métissage des cultures, la mixité des champs de parole et des comportements sociaux -, est inoculée à sa pensée de l'architecture. Fictionnelle, narrative, disruptive, l'architecture de Rudy Ricciotti réactive l'incohérence, tout en puisant dans le questionnement de l'art son opérativité critique.

Marie-Ange Brayer

ricciotti

 

Villa Lyprendi
Toulon, France 1998

ricciotti
ricciotti

Cette maison est accrochée aux contreforts de la rade de Toulon, face à la mer. Elle s'inscrit dans un lotissement récent dont le cahier des charges imposait une expression architecturale régionaliste - enduits clairs, toitures à deux pentes couvertes de tuiles romaines. Rudy Ricciotti détourne cette contrainte en encastrant son projet dans la très forte pente (45°). Inscrite dans un volume parallélépipédique de 35 mètres de long, la maison se déploie le long de la montagne, ouvrant largement sur le paysage de la ville et de la mer, son unique façade. Composée d'une surface vitrée continue, elle est doublée par une terrasse linéaire en porte-à-faux au-dessus du vide et d'un brise-soleil traité comme un feuillage artificiel et horizontal. Les matériaux employés sont bruts et dépouillés, souvent empruntés à l'architecture industrielle : dalle de béton ciré, bois, métal et verre. Leur mise en œuvre affirme la simplicité de l'ouvrage, refusant tout effet technologique, toute performance industrielle. Objet minimaliste, taillant dans la montagne, la maison constitue un contrepoint radical à l'architecture environnante.

 

Le Stadium
Vitrolles, France 1994

ricciotti
ricciotti
ricciotti
ricciotti

À la fois salle de spectacle et salle omnisport, pouvant accueillir jusqu'à 5000 spectateurs, le Stadium de Ricciotti, règne de sa masse opaque sur un site qu'il semble vouloir conjurer. À la périphérie de Vitrolles, sur l'emplacement d'une ancienne décharge, il est desservi par une voie rapide et jouxte une mine de bauxite encore en activité. À cet environnement sévère, le Stadium oppose la radicalité de sa forme, un cube de béton brut teinté de noir dans sa masse, un monolithe énigmatique, posé sur une esplanade rappelant la nudité d'une piste d'atterrissage. Rucy Ricciotti a incrusté ce "bijou brutaliste" d'une constellation de petites lumières rouge-orangé en référence à la bauxite qui teinte la terre à l'entour mais aussi peut-être en référence nocturne aux chapelets rougeoyant des phares des voitures longeant le Stadium. L'entrée, de l'édifice, cachée d'abord aux regards mais signalée par un étrange palmier d'aluminium, s'effectue en contre-bas sous une épaisse horizontale de béton, comme on entrerait dans un bunker. Masse négative, contestataire, le Stadium est devenu localement un haut lieu de la culture rock.

ricciottiricciottiricciottiricciotti

 

Musée des Arts Premiers
Quai Branly, Paris, France
Concours, 1999

ricciottiricciotti
ricciotti
ricciotti
ricciotti

Dans son projet pour le Musée des Arts Premiers, Rudy Ricciotti a adopté une posture critique vis-à-vis du programme lui-même. Situé au pied de la Tour Eiffel, reflet lointain d'un occident impérialiste rayonnant sur le monde, ce musée se devait, selon lui, avant tout, de se départir radicalement de toutes les connotations colonialistes planant sur sa collection. Pour ce monument nécessairement problématique, il a écarté tout parti unitaire, continu ou frontal, préférant opérer par latéralisation, enfouissement ou suspension. Au-dessus de la grande salle de collection, en balcon au-dessus de la Seine, la toiture offre une grande terrasse accessible. Autour, un jardin, où se confondent le végétal et l'architectural, occupe la totalité du site. Dans l'anfractuosité de la terre, sont creusés des lieux interactifs, éclairés et accessibles par des failles. Celles-ci, même lorsque le musée est fermé, proposent depuis l'extérieur de multiples vues croisées sur les collections. À proximité, un volume, reprenant le gabarit haussmannien environnant, abrite le personnel et les chercheurs.

 

Gare Maritime
Marseille, France, 2000
Concours

ricciotti
ricciotti

Le projet, en proue du môle, occupe une position privilégiée, à la porte de la ville et de la mer. Il dessert deux quais opposés, l'un à l'ouest, l'autre à l'est, l'obligeant à se déployer sur cet axe et à se dédoubler programmatiquement. Le parti choisi par Rudy Ricciotti est malgré tout, celui de la compacité. Un bâtiment unique intègre toutes les fonctions, limitant les parcours inutiles, favorisant la rationalisation du programme et des flux et offrant un profil plus dense à la fois au mistral et aux embruns. Un hall en atrium, ouvert au sud et commun aux deux zones, occupe le centre du projet, contenant l'aire d'attente, les boutiques, au niveau supérieur, et l'enregistrement et la dépose des bagages, au rez-de-chaussée. De part et d'autre, le programme se développe symétriquement selon une logique non pas verticale mais horizontale : chaque niveau comprend à la fois des espaces pour le public (hall passager, zone bagage), des locaux techniques ou pour le personnel, ainsi que des parkings reliés à la gare par des passerelles enjambant l'aire de dépose minute et les différents flux automobiles. Ce parti horizontal est affirmé par la tectonique du bâtiment : dalles de béton brut de grandes portées sur des appuis minimaux et raréfiés.

 

Rudy Ricciotti (1952)

1975 – Diplômé de l'Ecole d'Ingénieurs de Genève, Architecte ETSG
1980 – Diplômé de l'Ecole d'Architecture de Marseille
1980 – Création de l'Agence à Marseille

Principaux projets et réalisations

2000 – "Gare maritime" Marseille (concours) ; "Passerelle de Séoul" Corée ; "Restructuration de l'Abbaye de Montmajour" ; "Salle de concert philharmonique" Postdam (en cours) ; "Salle de spectacles" Sélestat (Strasbourg) (en cours) ; "Scènes de musique contemporaine de Nîmes" (études) ; "Réaménagement du Centre National de la Photographie" Paris (études) ; "Centre National Chorégraphique d'Aix en Provence" (études)
1999 – "Musée des Arts Premiers" Quai Branly, Paris (concours) ;"Maisons individuelles EDF" (concours) ; "Villa et piscine Le Goff" Marseille (réalisée) ;"Villa et piscine Marmonier" La Garde (réalisée)
1998 – "Villa Lyprendi" Toulon (réalisée) ; "Foyer-restaurant du CREPS" Boulouris (réalisé) ; "Grand hall de la Faculté des Sciences" Marseille (réalisé)
1997 – "Collège 600" Saint Ouen (réalisé) ; "Villa Gros" Gémenos (réalisée)
1996 – "Centre d'entretien autoroutier A20" Uzerche (réalisé) ; "Collège 900" Auriol (réalisé)
1995 – "Base nautique de Bandol" (réalisée) ; "Villa Chaix" restructuration d'un mas, Ramatuelle (réalisée)
1994 – "Stadium de Vitrolles" (réalisé) ; "Salle des Fêtes" Port Saint Louis du Rhône (réalisée)
1993 – "Salle de spectacles et de cinéma" Pierrelatte (lauréat)
1992 – "Centre d'information et de coordination routière" Marseille (réalisé)
1986 – "Centre des loisirs de jeunes" Bandol (réalisé)

Principale Publication de Rudy Ricciotti

1998 – "Pièces à Conviction - Les interviews vitriol d'un Sudiste" éditions Sens & Tonka (sept.)

Bibliographie sélective

1999 – Le Moniteur (mai et août) ; d'Architecture (juin) ; Architecture d'Aujourd'hui (fév.) ; Construction Moderne (déc.) ; "99 Architectures en 99" Maison d'Architecture et de Construction de Chine (juin) ; World Architecture Review (juin)
1998 – "Re-Création : 21 architectures en France à l'aube du XXIème siècle" (1998/2000 : exposition itinérante en Amérique Latine) AFAA / Ministère de la Culture, France/Argentine ; De Architect (nov.) ; Space Design (sept.) ; The Architectural Review (juil.); Le Moniteur AMC (mai) ; Techniques & Architecture (janv.)
1997 – "Stadium de Vitrolles" éditions Taschen ; Archi-Créé (sept. et nov.) ; Techniques et Architecture (sept.) ; Le Moniteur AMC (juin) ; l'Arca (janv.) ; Connaissance des Arts (août)
1996 – Techniques et Architecture (oct.) ; Le Moniteur AMC (avril et juil.) ; d'Architecture (avril) ; l'Arca (fév.) ; Werk Bauen+Wohnen (fév.) ; The Architectural Review (fév.)